Dans son livre sur frère André, Étienne Catta nous raconte : « (Aux États-Unis,) Alfred y est manœuvre, mais quelle pauvre main et dans quelles conditions! On travaillait alors dans les ateliers, de six heures du matin à six heures du soir, avec juste une heure de relâche pour le repas du midi. Deux ou trois jours par semaine, la gérance réclamait deux heures de veillée extra. Cette veillée en principe est libre, mais l’ouvrier sait bien que, si on refuse, on nous donnera notre congé le mois suivant. Le salaire d’un bon ouvrier pouvait atteindre une piastre par jour. Une femme, un jeune homme sans apprentissage gagnaient beaucoup moins. Telle quelle, la main-d’œuvre canadienne-française était devenue dans tous les secteurs de la Nouvelle-Angleterre, un indispensable agent de prospérité, très appréciée pour son endurance, sa conscience professionnelle, le fini du travail… » L’ère industrielle modifie le mode de vie de bien des manières. Tout d’abord, on découvre que le temps a de la valeur. Il est donc nécessaire de le mesurer précisément, puisqu’il peut désormais être acheté, vendu, exploité ou escroqué. Soudain, des conflits naissent parce que les cloches publiques sont remplacées par des gongs ou des sifflets contrôlés personnellement par les propriétaires des manufactures. Si trop peu de travailleurs ont les moyens de posséder une montre de poche, comment être certain que la durée du temps donnée est honnête? Même les horloges peuvent être truquées pour voler du temps de travail non payé… Notre héritage d’horloges donnant la « vraie » heure et aisément visibles sur des édifices publics est issu du besoin et des ressources mises en commun de ces travailleurs. Parallèlement, à partir des années 1830, de nouvelles machines modifient la manière dont les gens travaillent en affectant les quantités, la qualité et les coûts de production. Les machines à filer ou « mule-jenny », par exemple, remplacent le rouet traditionnel pour vriller les fibres, en faire des fils et enrouler ceux-ci sur des bobines. Désormais, un ouvrier fort d’épaules, comandant un plus gros salaire et beaucoup de respect, pousse et tire le large rouleau de la « mule-jenny » et peut faire à lui seul le travail de plusieurs travailleurs. De même, les métiers à tisser mécaniques déplacent la navette qui porte la trame (fils horizontaux) en travers de la chaîne (fils verticaux). À partir de ce moment, un seul opérateur peut s’occuper de plusieurs métiers à tisser, mais plusieurs personnes sont encore nécessaires – habituellement des femmes aux doigts agiles, à la vue excellente et à la patience immense – pour préparer le harnais un fil à la fois avant que ne puisse commencer la production. Ces ouvrières qualifiées sont parmi les mieux payées dans les salles de tissage des manufactures de textile. À partir de la décennie 1930, « un opérateur de machine avec 336 bobines peut filer près d’une demi tonne de fil numéro 10 durant un quart de travail de huit heures. Avec un salaire d’environs 70 ¢ de l’heure, les coûts de la main d’œuvre pour réaliser une livre (454 gr) de fils de bonne qualité est inférieure à ¾ d’un sou. De même, un tisserand peut maintenant superviser une douzaine de métiers à tisser et produire plus de 3 621 mètres de tissus durant une semaine de 48 heures. » * Frère André n’est jamais devenu un ouvrier qualifié. Durant toutes ces années, il est un parmi tant d’autres, essayant de gagner sa vie, et sa santé précaire ne fait pas de lui une exception. Il est chanceux d’avoir évité les incendies mortels, de ne pas avoir vu sa vie raccourcie par la tuberculose, ni d’avoir perdu un de ses membres. Il est collègue, voisin, homme rencontré sur la rue… Cependant, une chose – autre que la prière – qui le caractérise tour particulièrement demeure son attitude envers le travail. « En dépit de sa faiblesse, nous rapporte un de ses amis, il ne se laissait pas dépasser par les autres et suppléait par son courage. » | | | | Photo: A. Schechter Machine à filer ''mule-jenny'' | | | | | | | | | | Photo: A. Schechter Métier à tisser mécanique | | | | | | * Anita Rafael, La Survivance. A companion to the exhibit at the Museum of Work and Culture, Woonsocket, Rhode Island, Rhode island Historical Society, 1997. ISBN 0-932840-13-2 |