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Choisir une communauté aujourd'hui ? 8) Les conséquences vocationnelles de l’anti juridisme.



a) Le nœud du cléricalisme et sa version laïque : conséquences vocationnelles de l’anti-juridisme d’Eglise.

Appel des disciples
Appel des disciples
     

Le Concile Vatican II a souligné l’exigence de la sainteté universelle. Peut-être peut-on penser qu’une époque a été imprégnée de «  lutte des classes ecclésiales », dans le sens où pour reconnaître l’émergence des Laïcs et leur rôle spécifique, il aurait fallu selon certains les opposer aux autres, c’est-à-dire aux prêtres et aux religieux, détenteurs de la sainteté. Le Concile a défini les laïcs et leur rôle de façon positive et complémentaire, et non pas sous la forme d’une lutte.

« Pour répondre à la question «qui sont les fidèles laïcs?», le Concile a refusé la solution facile d'une définition négative et s'est ouvert à une vision nettement positive; il a manifesté son intention fondamentale en affirmant la pleine appartenance des fidèles laïcs à l'Eglise et à son mystère, et le caractère particulier de leur vocation, dont le propre est, d'une manière particulière, de «chercher le règne de Dieu précisément à travers la gérance des choses temporelles qu'ils ordonnent selon Dieu»(14). «Sous le nom de laïcs _ ainsi s'exprime la Constitution Lumen Gentium _ on entend ici l'ensemble des chrétiens qui ne sont pas membres de l'ordre sacré et de l'état religieux reconnu par l'Eglise, c'est-à-dire les chrétiens qui, étant incorporés au Christ par le baptême, intégrés au Peuple de Dieu, faits participants à leur manière de la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ, exercent pour leur part, dans l'Eglise et dans le monde, la mission qui est celle de tout le peuple chrétien»(15). »[[1]]



L’anti juridisme aura tendance à gommer soigneusement les différences d’un côté, ou bien à opposer les rôles de l’autre côté.  La «  gérance des choses temporelles » à ordonner selon Dieu pourrait bien être le lieu des confusions et inversion du rôle de chacun. Et de l’autre côté, la gérance des choses spirituelles par les laïcs en lieu et place du sacerdoce donne une cléricalisation des laïcs…il est donc important de connaître la spécificité de chacun pour éviter les conflits. La structure même du code de droit canon de 1983 est une clarification et une réponse : elle suit les avancées du Concile sur le Peuple de Dieu avec le livre II sur le peuple de Dieu, et sa première partie sur les Fidèles du Christ, les obligations et droits de tous les fidèles et les obligations et les droits des fidèles laïcs, les ministres sacrés ou clercs.

Cette partie du code de droit canon permet par la notion droits/devoirs de sortir de la confusion des rôles tout autant que de la domination des uns sur les autres. Tous les fidèles sont à égalité avec des droits et des devoirs correspondants à leur état précis. L’anti juridisme, phénomène multiforme, prendra ici la forme de l’ignorance de la constitution du peuple de Dieu, la méconnaissance de l’état de vie des autres. Les lieux où cette ignorance entraîne des confusions des rôles sont nombreux, de la paroisse aux associations en passant par les communautés. Les laïcs vivant comme des moines, les moines gérant leur monastère comme une entreprise entièrement temporelle, le curé gérant toute la paroisse seul ( y compris les finances), les laïcs décidant de la liturgie, etc, etc !

Nous avons donc mis comme titre de cette sous-partie : le cléricalisme, mais nous pourrions inventer un néologisme pour la laïcisation des clercs, et la «  religiosation » de ce qui est séculier ( sur le modèle des vœux et du mode de vie propre à l’état de vie religieux). Ce dernier point touche les vocations consacrées, lesquelles vivent une confusion interne, et même une dialectique entre les vocations consacrées religieuses et les vocations consacrées séculières ( «  séculières » au sens de consacrées «  hors la vie religieuse ».)

Un exemple parmi d’autres : la suppression de l’Ordre des Vierges Consacrées vivant dans le monde en 1927 par la  Sacrée Congrégation des Religieux. L’idée selon laquelle la sainteté n’appartenait qu’à la forme de vie consacrée religieuse avec les trois vœux était tenace. Il a fallu attendre Vatican II pour retrouver cette vocation consacrée dans le monde ( " en plein monde",pleinement consacrée par le célibat consacré, mais hors la vie religieuse), chemin aussi de sainteté, tout comme les laïcs se sanctifient dans le monde.[[2]]

 Les Instituts séculiers ont connus la même lutte interne qui tendait à ramener sans cesse la sécularité du côté des vœux religieux. Vatican II n’est pas venu établir un listing des vocations menant à la sainteté tandis que d’autres seraient des «  sous-vocations », mais rappeler que tous les fidèles sont appelés à la sainteté, chacun dans son état. Une forme de cléricalisme ou d’idée mal comprise « d’état de perfection » a pu se nourrir de cette idée de «  super-vocation », entraînant autorité morale et admiration d’un choix de vie, mais au détriment de droit/devoir de sainteté de chacun et de la valeur de chacune des vocations possibles.

En réalité, le cléricalisme ne peut subsister que si les autres vocations restent dans le flou quant à leur exigence fondamentale de sainteté. Le fond de cet anti juridisme particulier réside dans le fait de ne pas considérer le Peuple de Dieu ( et donc chacune des vocations possibles) comme un tout organique où toutes les vocations sont au service des autres vocations. En revanche, si l’on considère que chaque vocation a un besoin impératif de la vocation des autres comme complémentaire ( sans confusion), on obtient la vocation universelle à la sainteté et le soutien mutuel de tous les membres du Peuple de Dieu sur le chemin de la sainteté.

La réponse au cléricalisme est donc l’appel universel à la sainteté de tous les fidèles et la connaissance respectueuse de la spécificité de chaque vocation, sans perdre de vue le fait que le peuple de Dieu est un tout organique. La responsabilisation du laïcat consiste en deux pôles : connaître sa propre vocation en tant que laïc, connaître celle des autres pour mieux être au service de l’ensemble. En cela, la formation au droit canon peut être d’une grande aide au sein de la formation initiale et continue de chaque vocation dans l’Eglise, car, ainsi que le dit Julian Herranz, la racine [[3]] propre de la juridicité du droit canon se trouve dans la structure constitutionnelle du Peuple de Dieu.
Sur le même constat, le père Dortel-Claudot décrit le problème spécifique des communautés nouvelles du point de vue du droit canonique comme une confusion entre les états de vie :

«  Les communautés nouvelles proche du type  (A) ont une analogie avec les instituts religieux ; celles du type (Z) ont une analogie avec les instituts séculiers. Celles situées quelque part entre (A) et (Z), ou dont certains membres vivent une existence de type ( A) tandis que d’autres, en nombre plus ou moins égal, vivent une existence de type ( Z), seraient à rapprocher selon moi, des sociétés de vie apostoliques. Nous disons cela non point pour annexer les communautés nouvelles et vouloir à tout prix les raccrocher aux formes classiques de vie consacrée, mais parce que les analogies et les apparentements sautent aux yeux et s’imposent à n’importe quel regard objectif. »[[4]]

Ainsi, l’aboutissement d’un certain anti juridisme mène aux confusions d’états de vie dans l’Eglise, ce qui est aussi une conséquence du manque de connaissance de la structure constitutionnelle du peuple de Dieu. Une partie de la réponse serait probablement à chercher du côté d’une meilleure définition de la vocation des laïcs, mais aussi de l’approfondissement de la vocation à une vie consacrée réellement séculière, dans le monde « hors la vie religieuse ».
 


[[2]] « La Consécration des Vierges », in Comité canonique français des religieux, Cerf 1993, p 191.
« La décision d’admettre à la consécration des vierges des femmes vivant dans le monde fait revivre l’usage antique. (…) Au début du XXème siècle, quelques prélats ( le cardinal de Cabrières, le cardinal Mercier, Mgr Mermillod, etc.) avaient bien tenté de remettre à l’honneur l’ancienne pratique, mais la sacrée Congrégation des religieux avait rejeté, le 25 mars 1927, une demande allant dans ce sens. Le pape Pie XII, confirmant cette position, décrétait dans Sponsa Christi ( le 21 novembre 1950) que le rite de la consécration des vierges serait désormais un droit exclusif des moniales proprement dites. Le rituel de 1970 abroge heureusement cette disposition. »
 
[[3]]«  Il Diritto canonico ha una vera e propria giuridicità, che trova la sua radice e specificità nella stessa struttura costituzionale del Popolo di Dio », Julian Herranz, Il Diritto Canonico, Perché ? op. cit .
http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/intrptxt/documents/rc_pc_intrptxt_doc_20020429_diritto-canonico_it.html
[[4]] P. DORTEL-CLAUDOT, «  Les Communautés Nouvelles, » in Vie Religieuse, Erémitisme, Consécration des Vierges, Communautés Nouvelles, Etude du Comité Canonique Français des Religieux, Editions du Cerf 1993, p 241.
 

Lundi 28 Octobre 2013
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