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Sortir de l'infantilisation, mieux encore, ne pas y entrer!



Quelle est la différence entre un gourou et un accompagnateur spirituel au sens catholique du terme ?

Le loup dans la bergerie ?
Le loup dans la bergerie ?
La question est légitime, à une époque de recrudescence de gourous et de sectes. L'accompagnateur spirituel chrétien n'a pas le droit de mettre la main sur celui qu'il accompagne, son rôle premier va être de l'aider à discerner la volonté de Dieu. S'il s'agit bien de la volonté de Dieu, l'accompagnateur s'efface totalement devant cette volonté, qui n'est pas la sienne. Le gourou, pour sa part, utilise une soi-disant volonté de Dieu pour faire faire à l'accompagné...la volonté du gourou. N'est-ce pas...le loup dans la bergerie?
 

Alors, comment l'Eglise catholique envisage-t-elle l'accompagnement, et en quoi un accompagnateur spirituel n'est-il pas un gourou ?

L'accompagnement spirituel est avant tout un service. 
 "42 Jésus les appelle et leur dit : « Vous le savez : ceux que l'on regarde comme chefs des nations païennes commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. 43 Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur. 44 Celui qui veut être le premier sera l'esclave de tous :45 car le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. » Marc, 10, 42.

Le véritable service de l'accompagnement spirituel implique un grand détachement, " donner sa vie", et non pas...se servir, ou utiliser l'autre. 
Le bon Pasteur
Le bon Pasteur

Sur le modèle du Bon Pasteur.

Benoît XVI indique, sur le modèle du Bon Pasteur ( Jn 10, 14-15) la différence entre le voleur, le brigand, en ce qui concerne notre sujet, le gourou, et le pasteur.  Bien que ce texte de Benoît XVI ne concerne pas directement l'accompagnement spirituel, il nous semble très éclairant :

Aucun homme n'appartient à un autre homme.

Chartres : vitrail de la parabole du bon samaritain, si l'on voit le samaritain comme victime des mauvais accompagnateurs
Chartres : vitrail de la parabole du bon samaritain, si l'on voit le samaritain comme victime des mauvais accompagnateurs
 " Aucun homme n'appartient à un autre homme comme un objet peut lui appartenir. Les enfants ne sont pas la " propriété" des parents. Les époux ne sont pas propriétaires l'un de l'autre. Mais ils s'appartiennent l'un à l'autre de façon beaucoup plus profonde que par exemple un bout de bois ou un terrain ou n'importe quelle autre chose que l'on nomme propriété. Les enfants " appartiennent" aux parents tout en étant de libres créatures de Dieu, chacun avec sa vocation, avec sa nouveauté et sa singularité devant Dieu. Ils s'appartiennent justement par le fait qu'ils acceptent la liberté de l'autre, qu'ils se portent l'un l'autre dans l'amour comme dans la connaissance, et qu'ils sont dans cette réciprocité à la fois libres et un pour l'éternité.
Ainsi, les " brebis", qui sont des personnes créées par Dieu et donc à son image, n'appartiennent pas au pasteur comme des objets, car c'est le brigand et le voleur qui se les approprient ainsi. Telle est précisément la différence entre le propriétaire, le vrai pasteur et le brigand." 


Le gourou ne porte pas dans l'amour ceux qu'il utilise à ses fins personnels. L'accompagnateur spirituel sait que la personne qu'il accompagne appartient à Dieu de cette appartenance faite de respect de la liberté. L'accompagnateur va donc s'effacer pour indiquer la direction, qui est le Christ. 

Le pasteur n'utilise pas les brebis, il donne sa vie pour elle.

Poursuivons le texte de Benoît XVI ( Jésus de Nazareth, Tome I, flammarion, p 308), qui devient encore plus explicite :
" Pour le brigand, pour les idéologues et les dictateurs, les hommes ne sont que des choses qu'ils possèdent. Pour le vrai pasteur par contre, ils sont des êtres libres, car orientés vers la vérité et vers l'amour. Le pasteur se manifeste comme le propriétaire des brebis justement dans la mesure où il les connaît, où il les aime et où il les veut dans la liberté de la vérité. Elles lui appartiennent, parce qu'elles sont unies par la " connaissance" et dans la communion de la vérité qu'il est lui-même. C'est pourquoi il ne les utilise pas, mais il donne sa vie pour elles. Tout comme le Logos et l'Incarnation, le Logos et la passion sont indissociable, la connaissance et le don de soi ne font qu'un."

L'accompagnateur spirituel, se situe dans la même logique que Celui vers lequel il oriente ses " accompagnés" ( en ce sens, on parle de " direction spirituelle", ce qui ne se confond pas avec la prise de pouvoir qui dirige quelqu'un à sa place). L'accompagnateur va donc d'abord prendre en charge dans la prière, dans l'offrande, et sa manière d'accompagner consiste à s'effacer pour indiquer la volonté de Dieu, à s'effacer pour laisser toute la place au Christ. Dans cette logique de don, il n'y a pas de place pour la prise de pouvoir.

Pouvoir et accompagnement.

Concrètement, l'accompagnateur ne doit jamais avoir de " pouvoir" sur la personne. Or, par sa situation de conseiller, de confident, il peut s'immiscer dans la vie de l'accompagné. Il existe donc une règle fondamentale de l'accompagnement spirituel qui est celle de la séparation du for interne et du for externe. Si l'accompagnateur utilise ce qu'il sait pour gouverner concrètement la vie de son accompagné, par exemple en prenant les décisions concrètes à sa place et en veillant à leur application (!), il sort de son rôle et devient un gourou, c'est-à-dire qu'il fait " sentir son pouvoir" et quitte la logique du service et du don : il devient le maître en se substituant à Dieu et en imposant ses décisions propres, qu'elles soient bonnes ou mauvaises, l'accompagné est alors dépouillé de sa liberté, un autre agit à sa place, il se crée une dépendance affective dans l'accompagnement.

Sortir de l'infantilisation.

C'est en ce sens qu'un accompagnement peut devenir une forme d'infantilisation, par le biais du non-respect de la séparation du for interne et du for externe. Expliquons concrètement : si un accompagné se laisse faire par un accompagnateur en lui remettant sa volonté et en suivant ses directives, par exemple en rompant avec des personnes, en écrivant des courriers ( et même parfois en laissant écrire des courriers par l'accompagnateur), en laissant l'accompagnateur  parler avec son entourage propre et s'introduire dans son cercle familial ou amical, le for interne ( la conscience, les choix à poser devant Dieu, la vie intime) est mélangé avec le for externe ( la vie relationnelle, familiale, professionnelle, décisionnelle). 
Ce mélange n'est pas toujours uniquement le fait de l'accompagnateur qui se situe mal et dépasse les limites de son rôle, il s'agit aussi souvent du manque d'autonomie de l'accompagné et d'une mauvaise conception de l'obéissance ainsi que de l'accompagnement. L'infantilisation devient cette attitude affective qui consiste à laisser à l'autre le pouvoir de décider pour soi-même.

Les causes psychologiques de l'infantilisation sont à chercher...auprès d'un psychologue compétent, car il ne s'agit pas du même domaine que le domaine spirituel, et le risque de confusion des deux domaines entraîne une incapacité à distinguer autonomie psychologique et obéissance. Pour sortir de l'infantilisation sans méconnaître l'obéissance spirituelle, il est nécessaire de veiller sur la séparation du for interne et du for externe.

Dans les organisations ecclésiales ( communautés, associations, paroisses) où cette séparation n'est pas bien nette, l'accompagnateur et l'accompagné sont exposés au transfert affectif de toutes sortes et à la transformation de l'accompagnateur en gourou d'un côté, de l'accompagné en victime infantilisée de l'autre côté. On assiste alors à des dérives sectaires qui pouvent être évitées par la séparation des deux fors, en veillant à ce que les accompagnateurs spirituels ne soient jamais ceux qui gouvernent la vie concrète, et encore moins les psychologues de leur accompagnés.

L'utilisation de l'autre, les clans basés sur l'affectif quand l'accompagnateur-gourou dirige tout un groupe, le transfert sur la figure paternelle ou maternelle disparaissent quand l'accompagnateur spirituel sépare bien les domaines, n'a d'autre autorité que celle de l'enseignement de l'Eglise, de la discussion avec son accompagné, de la prière et de l'offrande, de la direction spirituelle selon la sagesse de l'Eglise, ( et selon des écoles spirituelles reconnues comme le Carmel, les Bénédictins, etc).

L'autorité d'un véritable accompagnateur.

Le Bon pasteur, mosaïque de ravennes
Le Bon pasteur, mosaïque de ravennes
Le véritable accompagnateur va donc respecter la séparation du for interne et du for externe et ne disposera d'aucun pouvoir sur son accompagné. Son autorité repose sur sa propre capacité à donner sa vie comme le Christ, à écouter l'Esprit-Saint par la prière et l'enseignement de l'Eglise, à respecter la liberté de l'accompagné tout en éclairant à la lumière de l'Evangile et du Magistère les choix et les décisions, mais sans jamais rien imposer. Son aide consiste aussi à donner à l'accompagné une véritable autonomie et responsabilité devant Dieu. Lorsque l'accompagné grandit en autonomie, en liberté, en responsabilité pour accomplir la volonté de Dieu, alors l'accompagnateur a vraiment rendu le service qui donne vie. 
" Pour le pasteur au service de Jésus, cela signifie qu'il n'a pas le droit de lier les hommes à lui-même, à son petit ego. La connaissance de soi qui le lie aux " brebis" dont il a la charge doit viser à s'aider les uns les autres à entrer en Dieu, à orienter vers lui, ce qui doit conduire à se trouver soi-même dans l'identité de la connaissance et de l'amour de Dieu. Le pasteur au service de Jésus doit toujours conduire au-delà de lui-même, afin que l'autre trouve toute sa liberté. c'est pourquoi il doit toujours se dépasser lui-même pour entrer dans l'union avec Jésus et avec le Dieu trinitaire" ( Benoît XVI, Jésus de Nazareth, Flammarion, p 310)

Jeudi 8 Septembre 2011
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