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L’Annonciation du Seigneur, texte de Henri Caffarel

Nous reproduisons ce texte du fondateur des équipes Notre-Dame, magnifique texte sur l’Annoncation du Seigneur, publié dans " Prends chez toi Marie, ton épouse", éditions du feu Nouveau, p28 à 35.



" L’Annonciation du Seigneur"

La scène qui va faire de Marie, en quelques instants, la Mère de Dieu, et la mettre ainsi au sommet de la Création et de la Rédemption, se déroule dans une simplicité absolue. Saint Luc, dans son évangile, le souligne par le contraste qu’il établit entre l’annonce à Zacharie, père de Jean-Baptiste ( 1, 5-22), et l’annonce à marie, mère de jésus ( luc, 1, 26-38). Il faut relire ces deux écrits volontairement parrallèles, pour éprouver la force de l’opposition.

Le cadre, d’abord. D’un côté, la Ville Sainte, le temple ; et dans ce temple, le sanctuaire, avec l’autl des parfums recouvert d’or, près du voile qui masque le Saint des Saints. De l’autre côté, une province reculée, à l’écart des grandes communications, à la population mélangée, que les Juifs appelaient méprisamment " la Galilée des Gentils" ; et dans cette province, une bourgade inconnue, que l’Ancien testament ne nomme pas une seule fois, et la seule idée qu’il s’y passe quelque chose fait rire les voisins : " De Nazareth, s’esclaffera plus tard Nathanaël, peut-il sortir quelque chose de bon ? " ( Jn, 1, 46)

Les personnages, ensuite. D’un côté, le prêtre Zacharie qui, seul dans le Sanctuaire, accomplit un acte solennel de son sacerdoce : l’offrande de l’encens sur l’autel des parfums, tandis qu’à l’extérieur se presse une foule recueillie. De l’autre, une petite villageoise de treize ou quatorze ans, seule dans une maison quelconque, et que sa vie de prière n’empêche pas de vaquer aux soins domestiques.

L’action enfin. d’un côté, une manifestation spectaculaire, et qui va tout de suite faire du bruit. De l’autre, un colloque de quelques mots, qui restera enfoui dans un profond secret.

Et pourtant ce qui se passe à Nazareth est incommensurable avec ce qui s’est passé au Temple. Le miracle n’est pas seulement plus divin, mais absolument divin. Dieu n’agit pas seulement, Il vient. Et c’est en même temps beaucoup plus simple, comme si Dieu voulait dire que, plus ses oeuvres sont grandes, plus il tient à la modestie des choses et des êtres pour les accomplir.
 

Marie est donc dans sa maison comme tous les jours. Comme tous les jours, elle range, elle nettoie, elle cuisine. Inutile d’imaginer " Marie à son livre d’heures". Elle s’occupe, mais son coeur est libre d’aller vers ce qu’elle aime. Et ce qu’elle aime, c’est d’abord la conversation avec Dieu ; pour la nourrrir, il lui suffit de se rappeler les grands textes de la Bible qu’elle connaît bien, les psaumes qui chantent dans sa mémoire et sur ses lèvres, les prophéties qui, de siècle en siècle, ont annoncé le Messie à venir et qui bercent Israël d’un immense espoir, que certains prennent pour un rêve. Mais elle, qui y croit passionnément, mystiquement, voudrait être pour quelque chose dans la venue du Sauveur. Comment ? Elle n’en sait rien. Les vues de Dieu sont insondables. Et il suffit d’être disponible quand il parle ;

Ce qu’elle aime, c’est donc Dieu avant tout. Mais elle aime aussi ce jeune homme beau et viril, Joseph, qui s’est déjà engagé envers elle, et envers qui elle s’est engagée. Comment ne pas penser à lui en même temps qu’à Dieu, puisque leur prochain mariage est voulu de Dieu ? A l’instant où l’Ange se manifeste, Marie a le coeur rempli de Dieu mais aussi tout donné à Joseph.

Le Messager s’approche, parle. Marie le regarde sans surprise, étant de plein pied avec les choses de Dieu ; mais comme ses paroles sont étrangement solennelles ! Chaque mot tombe sur elle, lourd de mystère : " Réjouis-toi", c’est plus qu’un simple salut. C’est une invitation à la joie, et très particulièrement à la joie messiannique. Marie se souvient que cet impératif annonçait dans la Bible la venue de Dieu parmi son peuple : " Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Pousse des cris d’allegresse, Israël ! Réjouis-toi et exulte à plein coeur, fille de Jérusalem ! Le roi d’Israël, le Seigneur, est en toi" ( So 3,14-15) se pourrait-il qu’enfin… ? mais pourquoi ces paroles lui sont-elles adressées ?

" Toi qui as la faveur de Dieu. " L’Ange ne dit pas " Marie" comme c’est la coutume. Il semble lui donner un autre nom que le sien, un nom prophétique, comme chaque fois que Dieu désigne un élu pour une mission. Mais alors, Marie serait-elle l’objet de la faveur divine ? Pour quelle tâche ?

" Le Seigneur est avec toi". Elle sait bien que le Seigneur est avec ceux qui croient en lui. Mais là, il s’agit bien, semble-t-il, d’une présence toute particulière, en rapport avec la " joie" et la " prédilection" qui précèdent. Marie, la toute humble, la pauvre du Seigneur, plie sous le choc. Que lui arrive-t-il ? L’Evangile, toujours avare de mots affectifs, note qu’elle fut " bouleversée".

L’Ange reprend alors les mêmes formules en d’autres termes : "Ne crains point ( = réjouis- toi), Marie, ( cette fois son nom est dit), tu as trouvé faveur auprès de Dieu ( = toi qui as la faveur de Dieu)" Et d’un trait, il livre la nouvelle inouïe : " Tu vas concevoir et tu enfanteras un fils, auquel tu donneras le nom de Jésus. Il sera grand et on le tiendra pour le Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, il règnera à jamais sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin" ( Luc, 1, 31-32)

Cette fois, plus de doute. C’est bien sur elle que déferle l’énorme vague de l’espérance messiannique, venue du fond de l’histoire humaine. Le règne du Seigneur au mileu de son peuple, la venue du Messie, fils de David, ces deux grandes promesses qui rythmaient l’Ancien Testament et qui avaient été l’âme de sa propre prière, c’est par elle, Marie, qu’ils s’accompliront.

Mais pour s’engager plus lucidement dans le plan de Dieu, pour mettre son intelligence de pair avec le consentement profond de sa volonté, elle pose une question : " Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? "

Il ne s’agit pas d’une objection, d’une demi-incrédulité, comme celle de Zacharie ; sinon, elle ne recevrait pas une réponse favorable de l’Ange et, plus tard, Elisabeth ne la bénirait pas pour " avoir cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit". Marie est tout élan vers Dieu et ne saurait rien refuser, ni rien mettre en doute. Sa question signifie : " Si je dois être mère, comment garderai-je ma virginité ?" Car cette virginité n’est pas seulement, dans sa pensée, un état de fait provisoire, mais une volonté définitive. Entre cette virginité et la mission qui lui est proposée, elle ne voit pas la compatibilité. Et elle veut la voir, pour entrer totalement dans le dessein de Dieu.

En même temps, " l’homme" qu’elle évoque en cet instant n’est pas simplement l’homme en général, c’est cet homme tendrement aimé, Joseph, dont son coeur de femme est rempli. L’homme " qu’elle-ne-connaît-pas", au sens biblique et physique du mot, mais qui est pourtant celui auquel elle a noué son destin et à qui elle pense sans cesse, ne sera-t-il pour rien dans ce mystère ? A l’arrière-plan de l’interrogation de Marie, se profile son amour pour Joseph.

L’Ange ne répond qu’à la question directement posée : " l’Esprit Saint viendra sur toi et l’ombre de la puissance du Très-Haut te couvrira ; aussi l’enfant à naître qui sera saint, sera tenu pour le Fils de Dieu". C’est à Joseph, un peu plus tard, qu’il apportera la réponse complémentaire.

Là encore, les mots ont pour Marie une profonde résonance biblique ; l’Esprit viendra sur toi, comme sur les hommes choisis par Dieu, comme sur le Messie, l’Emmanuel annoncé, comme sur la communauté de la fin des temps. La puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre, comme la nuée qui précédait les Hébreux dans le désert, et qui enveloppait la tente de réunion où reposait l’Arche Sainte.

Marie comprend, sans aucun doute, qu’une intervention spéciale de Dieu va faire de son sein virginal une nouvelle Tente de Réunion, une nouvelle Arche d’Alliance, où naîtra le Messie, sans qu’un homme ait besoin de l’approcher. Comprend-elle aussi que le Saint qui naîtra d’elle sera le Fils de Dieu, au sens le plus absolu du terme, probablement non, car l’Ancien Testament n’a jamais dit que le Messie serait Dieu, et rien n’autorisait une hypothèse aussi audacieuse. Elle voit bien que son Fils, le Messie, sera plus proche de Dieu qu’aucun libérateur d’Israël ; mais il faudra des mois, des années, pour qu’elle découvre que sa maternité messianique est aussi une maternité divine.

Pourtant, si sa foi, comme toute foi, reste obscure, elle n’en est pas moins totale. Et elle prononce le mot que Dieu attendait d’elle, que l’univers entier attendait sans le savoir : " Je suis la servante du Seigneur ; qu’il m’advienne selon ta volonté". La soumission est inconditionnelle. L’avenir de son enfant reste dans l’ombre, le sien également ; mais d’avance, elle souscrit à tout. Et elle y souscrit, non passivement , mais de toute l’énergie de son être ; le " fiat" est impératif, c’est un ordre qu’elle se donne à elle-même, par lequel elle prend en main sa vie et la jette en avant. Il y a ainsi des créatures qui restent dans l’attende et qui, une fois décidées, révèlent une force extrême.

L’Ange est parti. Marie est toujours là, dans sa maison, la même que tout à l’heure en apparence. Pourtant, c’est une autre Marie. Elle médite le message, et peu à peu, il l’envahit et la transfigure. Comme toutes les femmes d’Israël, elle aura un enfant et se retrouvera sur la grand-route de la bénédiction divine traditionnelle. Mais son enfant ne ressemblera à aucun autre ; elle même ne ressemblera à aucune autre mère. et du coup, tout s’éclaire et se coordonne. Dieu lui avait inspiré de rester vierge ; Dieu lui demande aujourd’hui d’avoir un enfant ; Dieu ne se contredit pas, mais il fallait qu’en choisissant la virginité, elle renonçât à être mère pour pouvoir le devenir aujourd’hui. Elle découvre qu’on ne possède jamais ( mais alors au centuple) que ce que l’on donne. Parce qu’elle a renoncé délibérémént aux joies pures et fortes de la maternité, elle les retrouvera et les éprouvera comme jamais aucune mère ne les as connues.

Et son enfant sera le Messie. A sa joie de mère, s’ajoute celle de donner un Sauveur au monde. L’attente séculaire d’Israël, l’attente millénaire des hommes, a enfin trouvé sa réponse. Et Marie la Servante est la dépositaire de cet espoir comblé. Pour l’instant, dans la maison de Nazareth, sa joie surpasse toute expression, et Marie s’abîme dans un silence adorant.

P. Henri Caffarel, fondateur des équipes Notre-Dame ( images : vitrail de la cathédrale du Puy, )

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Lundi 1 Mars 2010
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