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Catherine de Sienne et Thérèse de Lisieux parlent aux prêtres, Cardinal Lucas Moreira.

HOMELIE DE S. EM. LE CARD. LUCAS MOREIRA NEVES OP, PREFET DE LA CONGREGATION DES EVEQUES


 

 

 

 

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Catherine de Sienne

Près d’un demi-millénaire (500 ans) sépare la mort de Catherine Benincasa de Sienne (1380) de la naissance de Thérèse de Lisieux (1873). Elles se distinguent en outre non seulement par leur patrie, leur langue et leur culture, mais aussi par leur expérience de Dieu et leur forme de vie ecclésiale.

Pourtant, elles sont réunies par un trait commun et essentiel qui fait qu’elles s’identifient presque à nos yeux : leur amour ardent pour Jésus et leur passion sincère pour les prêtres du Christ.

Un beau matin – nous raconte Raymond de Capoue, son premier biographe – alors que toute jeune encore, elle se rend à l’église Saint Dominique, Catherine aperçoit distinctement dans le ciel au-dessus de l’église l’image du Seigneur Jésus : c’est l’expérience radicale, le début d’une relation inépuisable avec Lui qui culminera avec les noces mystiques et l’empreinte des stigmates sur son corps. Dans ses discours et ses écrits, Catherine revient inlassablement à Jésus. Il n’y a quasiment pas de lettre d’elle qui ne commence par les mots : « Doux Jésus. Jésus amour », ou « Au nom de Jésus Christ qui pour nous fut crucifié » (Lettres) et ne contienne une évocation émouvante du sang versé, de l’humanité et du corps martyrisé du Sauveur. Ces références constantes n’ont rien de sentimental ou d’émotif : elles sont au contraire profondément théologiques.

Quant à Thérèse, le lecteur de ses écrits, et en particulier de son manuscrit autobiographique, y perçoit la présence prépondérante de la personne de Jésus, et cela dès son plus jeune âge. Il y est question de l’Enfant Jésus auquel Thérèse veut faire plaisir en devenant comme une balle dans ses petites mains, et auquel elle veut ressembler jusque dans ses vertus de petitesse et d’humilité, comme elle voudra ressembler plus tard au maître, au roi et au seigneur. À une époque cruciale de sa vie durant laquelle elle doit affronter la longue et pénible maladie de son père, sa propre maladie et l’obscurité intérieure, c’est la Face ensanglantée de Jésus, difforme comme un ver de terre, qui impressionne la jeune carmélite. Sa consécration comme victime de l’amour miséricordieux en est le point culminant.

Unies par leur amour fondamental pour le Christ, les deux mystiques se rencontrent également dans l’amour intense et profond qu’elles portent aux prêtres du Christ.

Ceux qui ont étudié l’Histoire de l’Église n’ignorent pas les nombreuses menaces qui pesaient sur la vie et sur le ministère des prêtres au XIVe siècle. La situation du clergé, en particulier du point de vue moral et spirituel, était pour l’Église un motif de graves préoccupations. Dans son zèle pour la Navicella di Cristo, il n’est donc pas étonnant que Catherine ait eu une pensée pour les prêtres. D’ailleurs, nombre d’entre eux se firent Caterinati, rejoignant le cercle de ses disciples pour y trouver des amendements de vie, la force de persévérer et un soutien spirituel. Notons que parmi les centaines de lettres dictées par Catherine, la plupart sont adressées à des prêtres, afin de leur inculquer la dignité du sacerdoce. Une dignité sur laquelle Catherine reviendra de façon plus approfondie dans le long chapitre du « Dialogue », consacré au « Corps Mystique de l’Église » et au ministère sacerdotal.

Il ne s’agit pas là d’un discours « moderne », basé sur un schéma précis et bien défini, mais plutôt de paroles dictées par une femme qui connaît l’extase mystique, des paroles abondantes, riches de doctrine théologique et spirituelle, où les idées et les concepts se chevauchent et reviennent sans cesse pour mieux transmettre la pensée de la Mantellata. Dans le cadre de cette simple homélie, nous devons nous contenter de citer quelques-unes des idées de Catherine.

Pour elle, le sacerdoce possède une dignité qui lui est propre, une excellence incomparable : « Mes ministres, je les aime singulièrement – lui dit un jour Père Céleste – ils sont mes oints, et le trésor que j’ai déposé dans leurs mains ils ne l’ont pas enterré ». Cette excellence dérive du ministère sacerdotal, qui est un ministère de Pont. Pour Catherine, Jésus est par définition le Pont qui relie au Père ; le prêtre facilite l’accès à ce Pont, et s’il est fidèle, il devient lui-même un pont, quoique de manière très subordonnée ;

- le prêtre est au service du Corps mystique (souvent Catherine désigne le clergé par ce terme) ;

- Ministère du Soleil : Jésus est un Soleil uni de façon intime au Soleil qu’est Dieu ; chargé de conduire tous les hommes à ce Soleil, le prêtre devient lui-même un reflet de ce Soleil s’il vit son sacerdoce avec cohérence ; dans ce contexte, son service sacerdotal à la personne de Jésus est en fait un service du Soleil eucharistique ;

- Ministère du Sang très précieux versé sur la Croix de la Passion, prix immense de la rédemption ;

- Ministère de la grâce et de la dispensation de l’infinie miséricorde avec laquelle Dieu prend soin de l’homme ;

- Ministère de la vérité présente dans l’Écriture, dispensée quotidiennement dans l’Église par l’intermédiaire des ministres de Jésus ;

- enfin Ministère de la Providence, et Catherine donne à ce terme le sens le plus ample et le plus profond, comme Dessein aimant et salvifique du Père consistant à sauver les hommes malgré leurs péchés en vertu des mérites de Notre Seigneur Jésus Christ.

Dans ce multiple ministère se profile pour Catherine l’éminente grandeur du sacerdoce. C’est par la fidélité et la cohérence concrète que le sacerdoce est valorisé. Catherine insiste sur le fait que les prêtres fidèles « qui vous sont donnés par amour », « par l’effet de l’amour et de la faim d’âmes », « sont les vrais jardiniers qui, avec sollicitude et saint amour arrachent les ronces du péché mortel et sèment la plante odorante de la charité ». Les prêtres infidèles se mettent dans une condition « misérable ».

Thérèse Martin, l’humble et clairvoyante Carmélite de Lisieux, n’a as été sans observer les belles et lumineuses figures de prêtres que Dieu a mis sur son chemin au long de sa brève existence. Pour cette raison devient plus grave sa souffrance lorsqu’elle perçoit dans son entourage des prêtres moins idoines ou moins fidèles. Pendant le pèlerinage qui la conduit à Rome, en 1887 – elle le raconte dans son manuscrit autobiographique – elle fait une expérience unique : le contact très proche avec des prêtres. Elle avoue avoir souffert de voir des prêtres, je ne dirais pas dévoyés ou pécheurs, mais tièdes et un peu frivoles. Elle écrit dans l’Histoire d’une âme : « J’ai découvert ma vocation [celle de prier pour les prêtres] en Italie ». C’est une des raison pourquoi sur le registre de son entrée au Carmel, quelques mois plus tard, elle écrit : « Je me fais carmélite pour prier et faire des sacrifices pour les prêtres et leur sanctification ». Elle l’a fait pendant toutes les années de sa vie de carmélite. La dernière année de sa vie, la Providence confie à sa prière et à son souci spirituel deux prêtres qu’elle considère ses frères, deux missionnaires, les Pères Roulland et Bellière.

Cette expérience, à laquelle dans l’Histoire d’une âme elle attribue grande importance, la console de n’avoir pas eu un frère prêtre. Dix-sept lettres (six au Père Roulland et onze à l’abbé Bellière, que Thérèse n’a connu que comme séminariste) leur sont envoyées jusqu’à la veille de sa mort en 1897. Dieu a voulu que l’un de ces « frères prêtres », le Père Roulland, soit un prêtre réussi, heureux dans son sacerdoce, cohérent avec sa vocation, et l’autre, l’abbé Bellière, un séminariste inquiet et, après la mort de Thérèse, un prêtre en désarroi, très malheureux dans l’exercice de son ministère (cela transparaît déjà dans la première lettre de Thérèse). Au Père Roulland, avant et quelques mois après son Ordination sacerdotale, et à Bellière pendant sa préparation au sacerdoce, Thérèse s’efforce de montrer la grandeur de la vocation et de l’idéal qu’elle représente.

Le texte dans lequel Thérèse précise le mieux son idée du sacerdoce est celui de la lettre à Sœur Marie du Sacré-Cœur (Ms C), dans lequel elle explique pourquoi elle avait la vocation de prêtre :

« Avec quel amour, ô Jésus, je te porterais dans mes mains lorsque à ma voix tu descendrais du Ciel. Avec quel amour je te donnerais aux âmes ». Mais elle ajoute : « J’admire et j’envie l’humilité de Saint-François (…) en refusant la sublime dignité du Sacerdoce ». Nous sommes autorisés à penser qu’elle trouvait là deux pôles de la dignité du sacerdoce : célébrer l’Eucharistie et sauver les âmes.

Dans ses lettres nous pouvons retrouver tout de suite ces deux dimensions : célébrer l’Eucharistie, comme étant le privilège et le centre de la vocation sacerdotale, et se dévouer sans limite au salut des âmes. Je sais que beaucoup d’entre nos contemporains trouvent dépassée cette dernière expression et la refusent, mais elle apparaît dans les textes du Concile Vatican II (Dei Verbum, Christus Dominus 31, 32, 34, 35), et le Code de Droit Canon affirme que salus animarum doit être toujours la suprema lex dans l’Église (can. 1752).

Au Père Roulland, elle se confesse : « bien indigne d’être associée spécialement à l’un des missionnaires de notre Adorable Jésus », mais « heureuse de travailler avec vous au salut des âmes ». Et elle ajoute : « C’est à ce but que je me suis faite carmélite » (Lettre 189, 23.06.1896). Elle appelle cela les « liens de l’apostolat » formés « de toute éternité ». C’est avec conviction qu’elle écrit : « Nous continuerons ensemble [même au delà de la mort] notre apostolat » (Lettre 193, 30.07.1896).

Elle souhaite au Père Roulland : « une abondante moisson d’âmes sera cueillie et offerte par vous au Seigneur » (Lettre 201). À l’abbé Bellière elle dit : « Par la souffrance vous sauvez des âmes. Travaillons ensemble au salut des âmes » (Lettre 221, 26.12.1896).

Et dans une autre correspondance : « Unis en Lui [dans le Christ] nos âmes pourront sauver beaucoup d’autres » (Bellière, Lettre 220, 24.03.1897).

C’est à l’abbé Bellière (lettre 226, 09.05.1897) qu’elle écrit, mourante, que « le Cœur divin est plus attristé des milles petites indélicatesses de ses amis » les prêtres « que des fautes même graves que commettent les personnes du monde », mais dans la même lettre elle l’invite à ne pas sombrer dans la contemplation de ses fautes mais à prendre le large dans la confiance et l’amour. C’est sa consigne à l’adresse de tout prêtre. Dans sa toute dernière lettre à Bellière, elle répète : Que Dieu « nous donne la grâce de l’aimer et de lui sauver des âmes ».

À des époques aussi différentes mais également dramatiques de l’Histoire de l’Église, deux grandes Saintes, Catherine et Thérèse, ont su parler aux prêtres pour les encourager à vivre à hauteur de leur vocation. À l’occasion du Jubilé des prêtres, écoutons leur voix. Découvrons la fraîcheur et l’actualité de leur message. Et rendons grâce le Seigneur de nous offrir cette source à laquelle désaltérer notre soif.

source : site du Vatican

Voir la présentation des lettres sur Esprit et Vie


Samedi 27 Février 2010
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