Ceci dit, parlons maintenant de la nécessaire solidarité. Jean-Paul II nous met en garde contre une contrefaçon de la solidarité, qui serait réduite à un attendrissement superficiel, à un vague sentiment de compassion, pour les maux subis par des personnes proches ou lointaines. Benoît XVI prépare cette" mondialisation de la solidarité" expression qu’il a employée pour décrire le but de Caritas in Veritate.
Nous venons de prononcer le mot de justice. La justice est une vertu morale, ce qui confirme bien que la doctrine sociale de l’Eglise relève du domaine de la théologie morale. La justice est même une des quatre vertus que l’on appellecardinales parce qu’elles sont fondamentales. Cette vertu nous permet une vie sociale harmonieuse car elle nous pousse à rendre à chacun son dû, à faire respecter le prochain, à nous dévouer dans une attitude de service pour faire précisément reculer l’injustice, l’exclusion, le vol, l’oppression, la diffamation etc… C’est la justice qui doit régir les rapports entre les personnes et la société ainsi que les rapports de personne à personne.
On sait, ou du moins on devrait savoir, qu’il y a deux aspects complémentaires dans l’exercice de la justice ; on parle de justice commutative et de justice distributive.
Parlons de la première, la justice commutative. Quand il y a un échange entre deux personnes, physiques ou morales, il faut que chacun reçoive l’équivalent de ce qu’il fournit.
L’employeur, par exemple, donnera un salaire et le salarié fournira un travail. Le salarié doit être juste c’est-à-dire correspondre bien à la valeur de la prestation et non être le reflet d’une prétendue « loi » du marché. A l’inverse, il y a des salariés qui ont tendance à se comporter comme si leur était payée la présence qu’ils ont dans l’entreprise et non le service qu’ils ont à y effectuer en quantité et qualité. Le devoir moral est donc à la fois du côté de l’employeur et du côté du salarié.
La justice commutative traite de ces échanges, qui peuvent être des contrats de travail, des transactions commerciales, des échanges de service, du troc etc… On peut dire que les premières transactions commerciales relevaient du troc. « Tu sais chasser l’aurochs. Je sais tailler le silex. » Echangerais trois silex taillés contre une entrecôte d’aurochs. Quant au marché, il est le lieu où l’on crie les prix pour favoriser la possibilité d’une transaction, faisant correspondre une offre et une demande. Mais on ne saurait, sans injustice, parler d’une loi de marché, qui aboutirait à pénaliser celui qui, pour survivre, serait obligé de brader son offre à prix anormalement bas parce que la demande est faible.
Quand nous approfondirons plus spécifiquement le domaine de l’économie, nous y reviendrons : l’Eglise n’est pas contre l’économie de marché, mais elle dit qu’au dessus de l’économie il y a la morale et que les lois entre guillemets de l’économie ne sauraient se situer au dessus ou en dehors de la loi morale. La justice, vertu cardinale, doit s’imposer à l’économie et nous venons d’en aborder un aspect qui est celui de la justice commutative qui règle les échanges entre les personnes. Quant à la justice distributive, autre aspect de la justice, elle va s’inquiéter de la manière dont est réparti le bien commun .
A la demande de l'Assemblée plénière des évêques de France, réunis à Lourdes le 7 novembre 1996, un texte majeur a été publié qui n'a pas perdu son actualité plus d'une décennie plus tard. Cette déclaration est intitulée : " L'écart social n'est pas une fatalité". Le document est adressé aux " hommes et aux femmes de notre pays, en particulier à ceux qui ont une influence sur la vie de notre société". Nos évêques y dénoncaient avec acuité et clairevoyance le caractère insupportable d'une situation qui voit augmenter sans cesse, malgré les aides sociales, le nombre de ceux qui sont " écrasés" et subissent " précarité et exclusion" :
1. "Une société est jugée au regard qu’elle porte sur les blessés de la vie et à l’attitude qu’elle adopte à leur égard". (Jean-Paul II à Tours, 21.09.96).
2. Chaque jour, comme évêques, nous rencontrons dans nos diocèses des hommes et des femmes qui souffrent de leur situation économique et sociale. Des responsables politiques, des militants d’associations et d’organismes confessionnels ou non, nous disent leur inquiétude. Ceux et celles qui affrontent ces malaises sociaux ne savent souvent plus que faire.